TEXTES

DOMINIQUE  DUMONT

 

Corinne Foucouin : L’étrange familiarité

par Dominique Dumont – auteur

 

Laisser vos yeux aller et venir à travers les paysages de Corinne, il y a comme des terres à bâtir aux confins de leur subtilité. La peinture à l’huile agit sur nous comme une liqueur : elle déclenche une ivresse dont il faut se dégager très vite, pour en surprendre l’essentialité. Pour l’accueillir complètement, il faut – pour ainsi dire- refaire le trajet inverse, celui va de l’alcool jusqu’au fruit. Le jeu des couleurs appelle la lumière, et c’est justement le fruit de cette lumière que Corinne nous invite maintenant à goûter le temps d’une exposition.

L’atmosphère est celle d’une mise en partition. Chaque geste du peintre est un coup de sonde à travers la profondeur supposé de l’instant. Il faut engager le dialogue sur ce fond gazeux, austère parfois, où rien n’est encore fixé, et laisser le temps agir, c’est le propre de la méditation. Regardez ces paysages qui vous regardent de l’intérieur. N’essayez pas de comprendre, laissez-vous simplement surprendre par leur vertu atmosphérique….

Le visible est toujours aux prises avec l’illusion. Voir est un jeu de construction bâti entre deux silences. Il y a des surfaces à traverser, des espaces à négocier, des fenêtres d’air à ouvrir sans relâche pour rester dans le péril qu’entrouvrent les nuages. Le peintre repasse parfois par l’abstraction: il s’agit pour lui de faire respirer la couleur aussi loin, aussi profondément que possible. Le monde qu’on nous donne ici à voir est l’enfant de la lumière. Il ne quitte son état naissant que pour mieux renouveler son risque.

Il se dégage un sentiment de grande familiarité dans ces tableaux : une familiarité des lisières d’abord …La vision qui nous réclame n’avance vers nous que pour mieux dissimuler sa musique… Tout est là, mais tout se joue dans la retenue. Ce qui s’approche a tout d’une question posée en équilibre entre la terre et le ciel…

Il y a là comme une mise à l’épreuve de nos facultés d’éveil. Parfois, des danseurs apparaissent sans nous dire de quel rêve ils proviennent, hantés qu’ils sont par l’esprit de la vague qui les a conçu comme une offrande. Ils esquissent un geste de couleur, une pensée qui viendrait du fond du paysage, pour déposer à nos pieds le courrier à jamais subtil des lisières. Les silhouettes humaines qui traversent ces paysages n’ont pas d’autre rôle à jouer : elles dialoguent avec nos arrières pays pour maintenir devant nous la dramaturgie de l’apparence. Formes humaines, presque fantomales…. elles théâtralisent devant nous le monde de l’éphémère.

Autre familiarité : celle des paysages de mer. Le rivage est depuis toujours le lieu privilégié où se joue une confrontation entre l’instant et l’origine. Ce dialogue à ciel ouvert est celui de notre intimité même. Quelques heures de marche au bord de l’eau ravive en nous les heures pleines et fécondes de l’inspiration. Le souffle du vent joue avec les odeurs, la pluie tire ses rideaux… La silhouette d’une ville au loin plaide en faveur du large. Elle figure le voyage parallèle du souvenir. Sa taille réduite nous rappelle que nous sommes des fourmis dans cette immensité. La proximité des vagues renouvelle notre confiance dans l’imprévisible. Cette tache d’absence, fourni par un reflet de vernis un jour d’exposition, peut-être est une chance d’entrer en familiarité avec la zone d’égarement qui nous renouvelle au fil du temps !

Avouons que c’est le ravissement que nous recherchons comme l’or du temps, même s’il est rare ! Nous sommes des éphémères, nous tirons notre force du sentiment de précarité qui nous anime, même si nous sommes convaincus d’avoir une âme…Cette âme, il nous faut aussi la fabriquer, en quelque sorte !

La couleur cherchera toujours a se libérer du motif. Elle cherche a vivre de sa propre énergie parce qu’elle se sait inépuisable. Elle est en nous un rêve d’évasion que chaque tonalité réitère sous nos yeux. Elle est l’ombre portée du monde sur nos pensées. Sa vertu est atmosphérique, elle est le lieu de l’échange : chaque paysage est échafaudé sur le courant d’air inspiré qui lui a donné naissance. Cette précarité n’est pas sans beauté : elle nous familiarise avec l’éphémère !

Dominique Dumont –  Mai 2014